"BEYOND ECSTASY" : Paris

14 October - 9 November 2024
Press release

Visiter l’exposition Beyond Ecstasy. Est-ce dans une galerie aux murs blancs que vous prenez le temps de penser au corps, à comment on s’en évade et comment on s’y tient, est-ce possible ? L’espace dans lequel vous vous tenez ne fait pas exception à la manière dont les politiques spatiales du genre et du sexe trient, distribuent, et régissent les lieux, alors oui pourquoi pas. Les œuvres rassemblées ici collectionnent des lieux précis, des villes, des espaces mentaux, des enveloppes charnelles.

Il y a ces lieux de sexe et du travail que l’on ne voit plus. Ici c’est le Timesquare disparu des années 1980, Peepland oui, oui, des néons lubriquent la nuit noire et les silhouettes anonymes découpées viennent y acheter des portions de plaisir et d’évasion. Où est passé ce Timesquare là et tous ses homologues expurgés des métropoles, comme tout ce qui dépasse, cette question entre et sort de la pièce. Il y a ces lieux du sexe et du travail dont on avait oublié le caractère terrestre et tangible. Les voilà tirés dans le réel politique par le pinceau minutieux. L’intimité est le véhicule, la nudité n’est pas le sujet, elle est gratuite et payante à la fois, elle nous invite par effraction dans les chambres du maître, ou dans la fabrique des chambres à soi. C’est une belle affaire de partage spatial du pouvoir, de lieux imprenables, de lieux relégués, de lieux défendus. C’est la pièce rose pixel où l’on travaille le sexe digital, dans laquelle l’oeil-client n’entre d’ordinaire que par la caméra, c’est ce lit duveteux où l’on s’endort, écran allumé, dans l’attente qu’un spectateur souscrive à l’une des prestations possibles. Il y a les lieux où le sexe fait irruption gratuitement. Il encombre massivement l’imaginaire à l’instar de l’imagerie pornographique. C’est une image qui ne transgresse plus rien, non,  le flux constant a émoussé le tranchant des bords. Elle est une paresse, elle rince mollement l'œil fatigué, elle est un retour à l’ordre des années XX20. Elle déborde des revues, dégouline des internets et se niche, concrétion polie dans le détail d’un paysage minéral, ou vient, automatique,, meubler une pièce vide que l’on s’efforce de remplir.

Beyond, Above, Underneath. Plusieurs œuvres disent le décalage avec la norme et ce qui peine à s’incarner. Les yeux ne sont pas en face des trous, les pieds sont en dehors des chaussures, les corps interpénétrés qui défont les habitudes binaires, flottent sur des fonds blancs ou jaunes, empêchés de toucher terre. Il y a les fantasmes non réalisés, mais aussi les bribes de souvenirs traumatiques que leur violence inaudible confine au non-lieu, qui se heurte au récit de la légèreté des jours sans y trouver place. 

Comment on s’évade d’un corps : l’ek-stasis. Oui : c’est tentant de se glisser hors de l’étau des normes genrées dont la puissance structurante est tue. Beyond Ecstasy rassemble des corps mus, tronqués, contraints par liens et des poids invisibles, des urgences d’évasion. Elle rassemble aussi des portraits in absentia de corps des évadées ou des disparues, racontés en silence par leurs témoins matériels. Épines des fleurs sauvages qui bordent les routes mexicaines, mâchoire métallique d’une pince à cheveux porte formulaire planchette à pinces, ceinture de cuir noire et paire de stilettos vernie qui pourraient appartenir aussi bien à une employée sommée de vider son bureau qu’à une domina. Peut-être que la panoplie de la professionnelle - entre diktat sexualisant, et réappropriation - a été l’ instrument genré de sa conformité sur le lieu de travail, aussi bien que la pièce à conviction de ceux qui l’en ont congédiée  ? 

Stasis :  comment on se tient en soi et pourquoi le faire ; mais aussi la révolte qui résulte du déséquilibre ressenti dans la répartition du pouvoir. Il y a ici des œuvres qui nous  réapprennent à nous tenir en nous. Certaines nous regardent et nous réalignent derrière nos orbites. D’autres prolongent et suspendent des instants d’ancrage par les petites choses très simples. Une vibration de l’air entre les corps en présence. Sur la peau nue, le soleil recueilli de la fin d'après-midi, un tissu qui glisse, l’étreinte où l’on prend la force qu’il faut pour vivre séditieusement.


--Marion Chevalier Taton

 
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